Le destin de Zénon
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Et pourquoi un jeune homme à l'avenir prometteur a-t-il perdu la vie sur le front de la Somme à l'aube du 25 septembre 1916 ?
Parce qu'il avait le sens du Sacrifice & l'Amour de la Patrie :
Valeurs intemporelles qui sont l'Honneur d'une Grande Famille .
Engagé sur le front champenois en août 1914 ,il participe à l'attaque des Eparges en avril 1915 où ses faits de bravoure lui vaudront plusieurs citations militaires .
Blessé par un éclat d'obus au talon le 19 mai , il part en convalescence avant de rejoindre son régiment sur le front de Somme durant l'été 1916 .
Il sera tué le 25 septembre 1916 à la bataille de Bouchavesnes à l'âge de 25 ans .
Pour ces faits il sera nommé Chevalier de la Légion d'Honneur et recevra , à titre posthume , la Croix de Guerre et la Croix Saint-Stanislas de Russie .
Correspondances
Reste de cette période une grande correspondance avec sa famille et ses amis qui témoigne de son engagement.
Et après son décès d'émouvantes lettres de ses supérieurs adressées à sa mère.
Chronique de famille
L'Invasion 14 et L'Evacuation
Photo de famille heureuse qui ne laisse rien présager du drame à venir
Alors que la mobilisation bat son plein et que la guerre est déclarée , ma grand-mère
accouche de son 4éme enfant en août 1914 .Malgré l'invasion allemande , la famille reste à Etreillers alors qu'une grande partie de la maison est réquisitionnée pour y loger officiers et soldats.
Pendant un an , la vie continue cahin caha dans l'attente d'opérations militaires ...
Août 1915 voit la naissance de mon père et ce n'est qu'en septembre 1916 que se prépare le recul stratégique des troupes allemandes vers le front de Somme .
Ordre est donné de couper tous les arbres forestiers et fruitiers de la région...
Début février 1917 ,une partie des habitants est évacuée et tous les bâtiments sont dynamités :maisons , fermes , usines et même les églises ,les puits sont empoisonnés !
Il faut donc se résoudre à évacuer dans le froid ,sous la neige ,en emportant le minimum de linge et avec la charge de 5 enfants dont l'aîné a 7 ans et les 2 plus jeunes marchant à peine sans compter 2 grand-mères âgées ...
Après 3 km de marche pénible pour rejoindre la gare,ils s'entassent dans des wagons à bestiaux direction Voyennes où il leur faudra trouver un logement de fortune ...
Les heures passent à chercher un gite mais c'est la pagaille entre civils et militaires à reloger ! Enfin , la nuit tombant , ils se retrouvent avec d'autres réfugiés à 18 dans dans une étable où ils s'endorment sur de la paille et se réveillent couverts de vermine .
Après le taudis viendront la faim et la maladie : la misère ...
Le matin , les enfants allaient mendier un peu de soupe à la cuisine allemande que le soldat n'osait leur refuser mais les parents se privaient de manger.
Le 18 mars , les événements se précipitèrent : les allemands firent sauter les ponts et incendièrent l'église avant de se replier et de bombarder le secteur mais bientôt tous les civils remontèrent des caves pour acclamer les soldats français et anglais qui arrivaient.
Mais les problèmes de santé et la précarité du quotidien obligèrent la famille à quitter Voyennes pour Montdidier où se trouvait un ami capable de les héberger;hélas ,à leur arrivée celui-ci était décédé! In extremis ,ils furent logés dans un baraquement Adrian destiné aux permissionnaires...
C'est dans ces tristes conditions qu'ils apprendront la mort de leur cousin Zénon tué à Bouchavesnes en septembre 1916 avec 6 mois de retard ...
De nos jours on a peine à imaginer cette vie d'errance sans nouvelles de ses proches ,au milieu des bombardements , sans même l'espoir de retrouver un jour ses amis , son village , sa maison ...ses racines !
Le 2 novembre 1917, suite à un déplacement du front , ils quittent Montdidier pour Ham où mon grand -père fera une crise cardiaque! mais le pire reste à venir : le petit Jean meurt du "croup" le 9 décembre sous les bombardements :il n'avait que 3 ans ...
Dès lors il faut quitter la région trop dangereuse au profit de la Touraine où ils arrivent en janvier 1918.mais là , paradoxalement , ils connaîtront leurs heures les plus noires car en plus de la faim , du froid ,de la maladie omniprésente , ils découvriront l'hostilité des habitants qui voient d'un mauvais oeil l'arrivée des réfugiés ...
Ici , plus question de solidarité et ce sont sans cesse des regards méprisants voire des paroles haineuses ce qui marquera fortement les enfants .
Pendant ce temps , mon grand-père fera plusieurs infarctus mais ne ménagera pas sa santé en s'occupant des problèmes de réfugiés et en adressant de nombreux courriers au préfet de L'Aisne et à l'evêque de Soissons en vue de leur retour à la fin du conflit.
Janvier 1919 voit une lueur d'espoir s'allumer :
un courrier d'un ami lui parvient d'Etreillers !mais il faut TOUT RECONSTRUIRE !!!
Pour se loger , il faut construire des baraquements provisoires mais les matériaux manquent ...de même il faut envisager de recultiver les terres mais il y a des problèmes de sécurité car il reste beaucoup d'obus ! de plus manquent les tracteurs pour labourer ,des semis , des engrais ...
A plusieurs reprises , ils demandent des sauf-conduits pour aller à Etreillers mais l'administration traîne et l'état de santé de mon grand-père ne cesse de s'agraver :il ne peut voyager ...
Ils rentreront définitivement en juillet 1919 mais mon grand-père "épuisé "mourra en janvier 1920.
L'Entre 2 Guerres ou le temps de la Paix retrouvée
La Reconstruction
A leur arrivée à Etreillers , ils retrouvent un village qui n'est que l'ombre de celui qu'ils avaient quitté...Au milieu des ruines , s'élèvent peu à peu des baraques sommaires , tous les habitants retroussent leurs manches et la solidarité aide à la reconstruction.
Peu à peu , les familles dispersées par l'évacuation , reviennent et retrouvent avec joie leurs anciens voisins et leur terre natale ! mais il en manque à l'appel : soldats tombés au front , ou civils victimes des privations durant cette longue guerre ...
La Vie reprend son cours :on repart à zéro : Elevage de poules , de lapins puis arrivent des chevaux pour labourer les terres mais il faut d'abord éliminer tout risque car les champs regorgent ...d'obus ! et les tranchées creusées pendant la guerre retardent le travail ...
Il faut surtout se préparer à l'hiver et au froid car les baraques ne sont pas chauffées !
Dans ces conditions , mes grand-parents inscrivent Louis et Maurice en pension à Momignies en Belgique : à 10 et 8 ans , ils débutent leur scolarité réellement tandis que Marie(7 ans) & Fernand(4 ans) restent auprès de leurs parents .
S'en suit une correspondance abondante entre les aînés qui découvrent une nouvelle vie d'études , de rires et de jeux pendant que les parents s'occupent à reconstruire une existence "heureuse" avec les cadets que viendra interrompre la mort de leur père après une ultime crise cardiaque en janvier 1920.
A l'automne suivant , Marie sera pensionnaire également à Momignies
Pendant leur scolarité en Belgique , les 3 enfants participeront souvent à des spectacles
pièces de théâtre , cela développera leur goût pour l'écriture et la littérature ...et pour les déguisements ! Par la suite , Maurice & Marie , adolescents , se travestiront lui en séminariste ,elle en "bonne soeur" à cornette ...au grand dam de leur mère ...
Durant l'année 1921 , on élabore les plans de la " future maison " , on en rêve! ,on fait le projet de replanter des arbres ...vu que les allemands avaient coupé tous ceux qui existaient avant -guerre ! et on les plante :pommiers,pruniers, cerisiers ,noyers mais aussi sapins , ormes et frênes :
un arbre pour chaque enfant & pour chaque disparu !
Un verger pour l'Eternité ?
Dès décembre 1921 , Louis tombe malade et rentre à Etreillers . Il verra la maison sortir
de terre lentement , entre ses traitements divers & variés avant que l'on découvre son mal : une néphrite qui le détruira doucement & implacablement ...
Lété 1923 se passera en cure à Saint -Nectaire pour Louis ,désemparé par la maladie et
l'absence de sa mère rentrée pour le déménagement et l'installation des 2 grand-mères
mais qui viendra le retrouver avant d'aller rechercher les 3 autres à Berck .
A l'automne , les garçons entreront à Saint_Jean à Saint -Quentin & Marie à Liesse puis
il y aura l'inauguration de la mairie , de l'école & de la poste en novembre à Etreillers
1924 sera le temps de la réintégration des animaux :poussins , lapereaux & génisses
viendront peupler poulaillers, clapiers & étables ...à la grande joie des enfants...
L'été 1924 , vacances à Berck pour Maurice, Marie & Fernand loin de leur mère auprès de Louis dont la santé décline ...
Même le pélerinage organisé à Lourdes , en famille , en aoùt 1925 , pour sa guérison ,
restera sans effet : Louis décédera le 25 septembre suivant .
Perdre son époux et deux enfants , dans cette période difficile , aurait pu l'abattre et la
décourager ...mais il fallait continuer pour les 3 frères & soeurs & les grand-mères ...
Alors elle a relevé la tête et le défi ...
Doucement & lentement , la vie reprendra : les enfants poursuivront leur scolarité dans leurs pensions respectives tandis que leur mère sera très occupée à gérer les affaires ..
mais leurs meilleurs moments seront lors de leurs retrouvailles en famille où joie de vivre & souvenirs les souderont davantage ...
Que ce soit à Etreillers , dans leurs collèges ou pendant les vacances sur les plages du Nord , rien n'entamera leur enthousiasme et leurs convictions.
L'été 1928 , ils effectueront un voyage en Allemagne où ils percevront déjà un certain malaise ....
Dés février 1929 , Marie aura des problèmes de santé qui l'obligeront à interrompre sa scolarité alors que ses frères bûchent chacun de leur côté ce qui ne les empêchera pas de correspondre régulièrement ...
En aoùt 29 , son état s'aggravera sérieusement mais après une rémission temporaire , elle se verra obligée de se rendre à Paris en octobre pour se faire hospitaliser .
Pendant ce temps ,Maurice le bac en poche ,est rentré à l'institut agricole de Beauvais .
Suite à une grande anémie générée par des hémorragies rénales ,il est indispensable de la transfuser mais ...il faut également déterminer quel rein est malade...
Malheureusement après la pose de sondes sans anesthésie,( son état l'interdisant) ,il se révéle que les 2 reins sont atteints , ce qui lui vaudra de crier de douleur et de pleurer jusqu'à la nuit !
Après maintes tergiversations des 3 médecins , on décidera , faute de transfusion , de la renvoyer dans ses foyers avec un traitement ...inefficace !
Mais pour Marie , l'important est de rentrer , de retrouver ses frères pour Noël , et de rester gaie & farceuse comme autrefois....
Et là on se projette sur l'avenir , cours à la Croix Rouge pour aider les malades , cours de danse menés par Maurice & toujours déguisements ...
Décembre 29 confirmera le diagnostic de sa maladie : la même que celle de son frère Louis donc même prescription de cure à St-Nectaire ...avec quel effet ?
L'année 30 démarre en fanfare : les lettres de Maurice à Beauvais égayent la maisonnée,
visites de fermes avec anecdotes rurales entremélées de "thés" avec des gentelmen farmers ! tout un programme ...qui fait rêver ! surtout quand on est clouéé au lit !
Pendant ce temps , Fernand répéte les " Burgraves " à St-Charles entre 2 cours de latin & 2 matches de foot !!!(ou l'inverse ! ).
Juillet 30 offrira à Marie son dernier voyage comme infirmière à Lourdes mais la fatigue & la maladie la rattraperont : elle mourra le 24 août à l'âge de 18 ans..
Bruits de bottes et Promesse de Guerre
Pendant ce temps , l'Allemagne renaît de ses cendres ,reconstruit sur les décombres & va se trouver un drôle de chef : un certain " Hitler " qui fera frémir l'Europe !
Et toute la haine accumulée durant l'après-guerre va peu à peu se répandre dans les esprits d'outre-rhin ,avec un désir de revanche à la prochaine occasion ... , Maurice effectue son service militaire à Sissonne en compagnie de jeunes dandys qui sont inconscients de la menace qui se profile ....
IL se mariera en octobre 35 tandis que se prépare le "front populaire" de Léon Blum ...
Au même moment , Papa est rentré en faculté de pharmacie à Lille où ses études seront interrompues par la mobilisation & la déclaration de guerre en septembre 1939.
Affecté à Rouen , dans le Service de Santé , il correspondra avec les siens jusqu'à leur évacuation en Mayenne en mai 40.
Maurice rentrera le premier en juillet 40 pour découvrir sa ferme pillée & les animaux disparus mais les murs sont "debouts"...à la différence de 1914 !
Il fera la même découverte de mise à sac en allant à Etreillers !
Il dissuadera sa mère de rentrer de Mayenne car les routes sont encombrées par les retours d'évacuation et que très souvent les réfugiés sont parqués dans des camps ;
mais celle-ci , impatiente de retrouver son foyer , réussira à passer (sans autorisation!) au risque d'être refoulée , grâce à sa carte d'infirmière bénévole...
Papa rentrera plus tard en septembre , après bien des péripéties pour passer les barrages et rejoindre Etreillers puis ,dès que la faculté sera rouverte , il reprendra ses cours à Lille jusqu'à l'obtention de son diplôme en juin 40 .
L'occupation & la Résistance
Ce "Passé là " ne passe pas !
Collaboration , Dénonciation , qui aboutissent à la Torture ,la Déportation & à Négation
du Respect de L'Individu avant L'Extermination ...
Reste le Devoir de Mémoire .
Le chant des Partisans
Engagés dans le War Office en juin 43 ,ils ont contribué à des opérations de parachutages à Bohain : récupération d'armes pour le réseau Tell,contacts pour missions de sabotage des objectifs allemands...mais l'occupant les a épinglés suite à une dénonciation d'un "bon français" collabo & tout le réseau a été démantelé!
Maurice , interpellé par la Gestapo au petit matin a choisi de se rendre pour que sa famille soit épargnée ,mais il a eu la présence d'esprit de faire prévenir Papa pour qu'il puisse s'enfuir.
Papa a toujours dit qu'il n'avait jamais autant pédalé de sa vie!
.Vu que les allemands avaient réquisitionné toutes les voitures , il ne lui restait plus que son vélo pour partir ... partir oui ...mais où ?chez des cousins à Etalon dans la Somme (80 km)
où à peine arrivé , on l'a prié de déguerpir car il y avait aussi des descentes de Gestapo !
Donc il est reparti mais je ne sais plus où ...